L’art n’a pas besoin d’être heureux
Il y a quelques semaines, quelqu’un m’a dit une phrase qui, sans que je le veuille, s’est accrochée à moi. Une de ces phrases qu’on entend, qu’on laisse flotter, mais qui finit malgré tout par peser : « On ne peut créer d’art que lorsqu’on est heureux. La tristesse et la douleur nous en empêchent. »
Ces mots ont eu sur moi l’effet d’un froid glacial. Comme si tout ce que j’étais, tout ce que j’avais déjà écrit, tout ce qui m’avait tenue debout dans les tempêtes, se voyait soudain nié. Pendant un instant, je me suis sentie comme effacée. Inexistante. Parce que si l’art ne pouvait naître que du bonheur, alors que devenaient tous ceux qui, comme moi, écrivent pour respirer ? J’ai longtemps repensé à cette phrase, et plus j’y songeais, plus je sentais qu’elle sonnait faux. Parce que pour moi, l’art n’est pas le résultat d’un bonheur parfait, mais le reflet d’une âme qui cherche à comprendre, à se libérer, à exister. Je crois que c’est justement dans la fragilité, dans les blessures, dans tout ce qu’on n’ose pas toujours dire, que se cache la plus grande beauté.
Je n’écris pas quand je vais bien. J’écris quand j’ai besoin de faire taire le tumulte, quand mes pensées deviennent trop lourdes, quand mon cœur a besoin de trouver un sens à ce qu’il ressent. Écrire, pour moi, ce n’est pas seulement déposer des mots : c’est me déposer moi-même. C’est un geste de survie, parfois un cri silencieux, parfois un souhait. Mes mots n’ont rien d’extraordinaire ; ils sont juste vrais. Ils portent mes doutes, mes larmes, mes espérances aussi. Ils disent ce que ma voix ne sait pas toujours formuler. Souvent, mes textes sont nés de mes peines, de ces moments où tout semblait trop vaste pour être contenu. Mais étrangement, c’est dans ces instants-là que j’ai trouvé le plus de lumière. Parce qu’à chaque phrase, quelque chose en moi se répare un peu. Chaque mot devient un fil, une manière de recoudre ce qui s’est déchiré. L’écriture m’a offert un refuge, un endroit où je peux tout déposer sans peur du regard des autres, un espace où la douleur devient matière à comprendre et à transformer. Elle m’a appris que la tristesse n’étouffe pas la création ; elle la rend plus humaine. Elle m’a appris qu’on peut être blessé et pourtant profondément vivant. Et qu’au fond, écrire, c’est simplement continuer à aimer la vie, même quand elle fait mal.
Alors non, je ne crois pas qu’il faille être heureux pour créer. Je crois qu’il faut être sincère. Il faut avoir le courage de se rencontrer soi-même, même quand ce qu’on trouve fait un peu mal. Parce qu’au bout du compte, ce n’est pas la douleur qui nous empêche de créer, c’est le refus de la regarder en face.